Il est terriblement difficile pour les parents et les proches de comprendre ce que vivent les personnes dysphasiques. Il faut se rappeler que ces personnes présentent une intelligence normale, mais ont une déficience dans le fonctionnement verbal.
Je dois dire que durant mes deux grossesses et mes périodes d’allaitement, j’ai eu quelques symptômes de difficultés langagières que vivent quotidiennement les personnes qui présentent une dysphasie ou un trouble de la compréhension. Par exemple, j’étais tellement fatiguée que je ne comprenais pas tout ce qu’on me disait. Je cherchais mes mots constamment. J’essayais d’expliquer et je me perdais dans mes idées.
Ce qui m’a marqué est l’intolérance des gens face à mes difficultés. Par exemple, dans un magasin à grande surface, j’ai posé une question à la caissière et j’ai mal compris sa réponse. J’ai donc fait ce que j’ai compris et elle m’a regardé en répétant avec un ton condescendant ce qu’elle m’avait dit. Ça m’a fait tellement de peine que j’y ai pensé durant une heure. Même situation quand je cherchais les robots culinaires dans un magasin: «pardon madame, pouvez-vous me dire où l’on trouve euh… vous savez l’affaire qui fait tourner, euh qui fait mélanger les objets, voyons la nourriture. Ha oui… les robots culinaires… » La dame a été gentille, mais je voyais à son expression qu’elle ne comprenait rien à ce que je disais. J’étais désemparée. À ma première grossesse, cela m’engoissait. À la seconde, je savais qu’une fois mon allaitement terminé, tout redeviendrait normal. Le hic, c’est que pour les personnes dysphasiques, ça ne redeviendra pas comme avant. Ils auront toujours de la difficulté à comprendre et se faire comprendre. Ils seront toujours face à des situations où les gens sont impatients et même méchants.
J’aime expliquer aux parents, éducateurs et enseignants que pour un enfant présentant une dysphasie très sévère, ils peuvent s’imaginer qu’ils sont au Japon et que tout le monde autour d’eux parle seulement le japonais. Dans une telle situation, nous pouvons retrouver notre chemin jusqu’à notre hôtel en se rappelant visuellement le chemin que nous avons parcouru et en nous fiant à des plans et des cartes. Par contre, si nous sommes perdus, comment demandons-nous notre chemin? Et si nous arrivons à aborder quelqu’un avec un dictionnaire et des gestes, comment comprenons-nous ce qu’il nous répond? Si nous saisissons des mots de base, arriverons-nous à faire des liens entre les informations? Finalement, les gens finiront par nous parler lentement, faire des gestes, mais ils se décourageront et nous laisserons à notre désarroi. Ce que je vous décris, c’est le quotidien d’une personne atteinte d’une dysphasie sévère. Pour une personne ayant des difficultés légères ou modérées, imaginez-vous dans un pays ou vous comprenez un peu la langue tel que l’anglais ou l’espagnol. Vous pouvez aussi vous imaginer, si vous parlez bien l’anglais, devant une pièce de Shakespeare en anglais d’Écosse. L’accent, les expressions et le vocabulaire ne vous seront pas toujours accessibles. Si la pièce comporte plusieurs personnages, des décors, de la musique, vous comprendrez tout grâce au support visuel de la pièce. Par contre, s’il n’y a qu’un seul acteur qui se parle à lui même, vous ne saisirez pas les subtilités et l’essence de la pièce.
Quand on peut se mettre à la place de quelqu’un et qu’on peut comprendre sa situation, on peut s’ajuster et être empathique. Je vous dis «chapeau» car vivre avec une personne qui présente des difficultés de langage comme la dysphasie, c’est un défi à tous les jours.