Autrement dit : quand est-ce que le « vrai » travail va commencer? Eh, bien! C’est que, sans vous en rendre compte, votre orthophoniste a déjà commencé à travailler (très efficacement !) avec votre enfant.
Plus concrètement, votre orthophoniste utilise sûrement des stratégies issues d’une approche « sociocognitive », afin de « travailler » le langage de votre enfant.
Selon ce cadre théorique, deux conditions favorisent la volonté de parler :
L’enfant vit des situations de communication où il entend un langage qui peut lui servir de modèle ;
L’enfant est sollicité à participer à des activités « vraies » (jouets, jeux, livres) favorisant la communication verbale;
Ainsi, l’orthophoniste tente de créer, ou rétablir, la communication verbale non pas en « faisant parler » l’enfant, mais en parlant avec lui. On ne parle pas « pour parler », mais bien pour communiquer un message, dans un contexte donné.
Et, c’est parce que l’enfant construit ses connaissances, en étant un partenaire actif dans l’échange verbal que celui-ci acquiert (et non apprend) les connaissances nécessaires à l’évolution favorable de son développement langagier. De cette manière, les acquis « se généralisent » à l’extérieur du bureau de l’orthophoniste.
L’orthophoniste propose donc des situations d’interaction variées afin de permettre à l’enfant d’actualiser ses capacités langagières en fonction des objectifs établis dans son plan de traitement. En fait, elle doit constamment adapter ses interventions en évaluant le niveau des connaissances de l’enfant. L’orthophoniste doit être capable de suivre l’enfant tout en analysant l’objectif à travailler et en isolant la stratégie la plus efficace pour l’atteindre dans un contexte dynamique d’interaction verbale. C’est tout un art!
Dans cette perspective, votre orthophoniste vous propose aussi de « suivre les initiatives » de votre enfant. En effet, les enfants portent d’avantage attention sur ce qui les intéresse que sur les objets/événements sélectionnés par l’adulte. Cette stratégie facilite le maintien de l’intérêt de l’enfant dans le cadre d’activités sociales probantes. En effet, l’on considère que les échanges conversationnels, en contexte de jeux, sont centraux dans l’acquisition du langage : ils dirigent l’attention de l’enfant sur le langage; ils encouragent une attitude positive face aux échanges linguistiques; ils stimulent les tours de parole; ils enseignent les routines sociales; ils constituent un locus idéal pour l’amélioration de l’intelligibilité des productions verbales de l’enfant ; et, ils facilitent la segmentation de la parole.
Le choix du matériel, contexte à l’élaboration des interactions verbales est, lui aussi, très important. Par exemple, les enfants font moins de productions verbales avec des livres portant sur les capacités à compter/dénommer qu’avec des livres dont les images représentent plusieurs éléments/actions. Parallèlement, les jeux symboliques fournissent des opportunités de production verbale plus variées que les jeux de construction.
Par ailleurs, la nature et la quantité de langage adressées à l’enfant ont un impact sur la vitesse d’acquisition, le contenu, la forme et l’utilisation de son langage. Par exemple, il existe un lien entre la quantité de routines questions-réponses engagées par l’adulte et le rythme d’apparition des verbes dans la production de l’enfant4. Ce que l’enfant entend a un effet direct sur son rythme d’acquisition de la grammaire.
L’orthophoniste dispose, concrètement, de plusieurs stratégies d’échafaudage linguistique afin d’actualiser le développement des capacités langagières de l’enfant, en contexte de jeux :
Les questions (ouvertes, fermées, à choix) ;
Les répétitions (= une reprise sans modification linguistique);
Les reformulations (= des reprises pour préciser le niveau phonologique, lexical, syntaxique, et/ou énonciatif) ;
Les formulations (= une verbalisation qui met en mots les actions de l’enfant) ;
Les régulateurs (= interventions servant à marquer qu’il y a partage de signification)
Les commentaires (sur le matériel/l’activité).
Par ailleurs, l’on sait que l’enfant progresse si l’on accepte et encourage ses tentatives maladroites. Ainsi, les variations produites par les enfants ne constituent pas des fautes à bannir, mais des erreurs constructives qui illustrent le niveau de compréhension de l’enfant du fonctionnement du langage. Ces erreurs permettent à l’adulte d’ajuster sa réponse (reformulation) pour aider l’enfant à se rapprocher de la norme.
La reformulation, par exemple, signale à l’enfant que nous acceptons le contenu de son message; lui fournit le bon modèle; et, permet la poursuite immédiate de l’interaction verbale. Le succès dans la transmission du contenu de son message constitue une source de renforcement positif intarissable pour l’enfant.
C’est donc en encourageant les productions de l’enfant, sous toutes ses formes, qu’on lui propose d’apprendre à parler en parlant. Ce n’est pas tant le matériel, mais la manière de l’utiliser, en contexte d’interaction avec l’enfant, qui caractérise l’intervention avec l’approche sociocognitive. L’on considère que c’est dans l’interaction et en parlant que les enfants apprennent le langage : l’acquisition du langage devient donc une affaire de communication.
Donc, oui, c’est vrai, votre orthophoniste « joue » avec votre enfant, mais c’est uniquement pour donner un contexte pertinent pour travailler les aspects du langage qui le concernent. En réalité, plus votre orthophoniste à l’air de « simplement jouer », plus celle-ci est devenue experte dans l’art de « faire travailler » votre enfant, sans qu’il s’en rende compte!
BIBLIOGRAPHIE
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